Mon dernier article dans Le Journal de l'Agence
Le Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a annoncé par voie de communiqué de presse le 3 juillet dernier le lancement d’un nouveau dispositif de production de références de loyers. Ce dispositif n’a pas vocation à remplacer les observatoires locaux des loyers (OLL). La loi ELAN vient de les renforcer. Il s’agit plutôt de les compléter et de produire des indicateurs sur les communes exclues de leur champ. La couverture totale de la France est clairement visée, de quoi répondre aux lacunes, importantes, de la connaissance des loyers.
Le communiqué de presse renseigne sur les principales sources que les (excellentes) économistes missionnées, Marie Breuillé et Julie Le Gallo (Inra Dijon) projettent d’utiliser pour évaluer (modéliser) les loyers : les annonces immobilières. Avec ces sources, l’Etat se positionne en producteur disruptif de données : jusqu’à présent, personne n’a vraiment assumé d’utiliser les données d’annonces à des fins statistiques, sinon en les tordant pour les convertir en données de transactions conclues. En France, la production des données immobilières repose sur des prérequis qui enferment le point de vue porté sur les marchés dans des évidences toutes faites. La prédominance (plutôt que la seule distinction) du prix conclu sur le prix offert en fait partie. A l’achat-vente, les acteurs la justifient par la décote qui peut effectivement s’appliquer sur le prix affiché. A la location, cette éventuelle baisse se fait rare et peu significative, mais le loyer de contrat reste la norme.
Plus classiquement, l’Etat suit la voie partenariale pour armer son nouveau dispositif, et enrôle SeLoger, PAP et Century21 pour optimiser la remontée des données. En l’absence d’obligation d’enregistrement en effet, la production de références de loyers en France s’appuie historiquement sur des dispositifs partenariaux pour puiser à la source principale : les intermédiaires, des administrateurs de biens et des agents immobiliers pour la plupart. Clameur, premier producteur encore existant apparu sur le marché au milieu des années 2000, a construit son modèle sur cette base. Plus récemment, les OLL s’y sont attachés également, à partir de schémas de transmission et de méthodes de traitement harmonisés. Grâce au recours à l’enquête, ils lui ont ajouté une brique inédite : celle des loyers conclus par les particuliers. Le nouveau dispositif annoncé promet aussi de tenir à la fois les marchés intermédié (45% de l’ensemble) et non intermédié (55%), grâce aux annonces des particuliers. En revanche, il ne produira apparemment pas d’indicateurs sur l’ensemble des loyers du parc tel que le proposent les OLL dans une démarche encore rare (unique ?) en France tendant à couvrir les logements qui se présentent sur le marché comme les logements occupés.
Les données d’annonces présentent au moins trois avantages. D’abord, elles sont disponibles dans de très larges proportions. La maturité et la prédominance des portails d’annonces l’expliquent en grande partie : avec elles, l’enregistrement des biens à louer dans les systèmes des opérateurs et leur publication en ligne répondent à un enjeu commercial devenu incontournable depuis de longues années déjà. Il est donc acquis. Dans l’attente de l’éventuelle mise en œuvre du projet de bail numérique introduit dans la la loi ELAN, il permet de disposer d’un socle d’informations qui pallie l’absence d’obligation d’enregistrer les contrats de location.
Ensuite, les données d’annonces sont fraîches. Elles peuvent du moins s’offrir à l’analyse au fil de l’eau et renseigner le niveau de loyer au présent, plutôt qu’au passé tel que les données immobilières se conjuguent traditionnellement. En effet, la préférence pour les prix conclus au détriment des prix d’offre induit habituellement un biais temporel dans la connaissance des marchés. Le cas échéant, la lenteur des remontées des contrats est clairement en cause.
Enfin, les données d’annonces sont très concentrées. Les portails sont des plateformes d’intermédiation typiques de l’économie numérique : ils surfent sur un modèle d’hyper-concentration du marché. La très nette domination de SeLoger, précurseur venu du minitel et créé dès le milieu des années 1990, et leboncoin, de dix ans son cadet, en donnent la preuve. On notera d’ailleurs que le second est appelé à rejoindre le groupement formé par le ministère. La stratégie de l’Etat est claire : allier la puissance publique aux leaders du marché privé pour assurer la meilleure couverture possible du territoire.
Avec le lancement d’un nouveau dispositif de connaissance des loyers, l’Etat conforte sa propre place de locomotive dans l’écosystème des producteurs de données immobilières. Sa vocation à produire des références de prix et de loyers sur les marchés du logement n’est pas nouvelle. Elle a même quelque chose de constitutif de sa mission. Mais les années 2010 l’ont nettement renforcée et enrichie, dans une démarche d’open data, d’une fonction de partage et d’incitation à l’innovation. Les marchés privés de l’achat-vente et du locatif en ressortent tous les deux gagnants, avec la libération, à marche forcée, de certaines données notariales, la formation du réseau des OLL et le partage de leurs données ainsi, il y a à peine plus de trois mois, que l’ouverture à tous des données de transactions détenues de la DGFIP au titre de la publicité foncière.
Sur le locatif, l’initiative de combler les lacunes de la connaissance des loyers doit être applaudie et le recours aux données d’annonce peut être salué tant il est audacieux. Les acteurs réunis connaissent les difficultés qui les attendent. Celles-ci renvoient précisément aux sources envisagées. Les données d’annonces représentent une manne sous-exploitée mais leur exploitation est délicate. D’abord, elles sont hétérogènes et de qualité inégale, y compris sur les portails qui, à l’instar de SeLoger, imposent leur schéma de transmission aux annonceurs pour préformer les remontées d’informations.
Ensuite, les limites informationnelles des annonces se font nombreuses. En particulier, les charges appliquées au loyer sont parfois noyées dans le descriptif du bien, alors que la norme en matière d’informations statistiques (elle fait d’ailleurs aussi partie de ces évidences qui pourrait être interrogées) est d’exprimer les loyers hors charges (comme si elles étaient neutres et ne pesaient pas sur le budget des ménages) ; le descriptif des biens est souvent insuffisant et peu fiable ; la localisation, pourtant déterminante tant sur la valeur des logements que sur les arbitrages des ménages, reste fréquemment floue, malgré les efforts consentis récemment en matière de géolocalisation.
Enfin, la publication multi-sites et les mandats multiples sont beaucoup moins fréquents dans le locatif qu’à l’achat-vente mais ils introduisent du bruit dans les données, d’autant que l’hétérogénéité et les limites des informations contenues dans les annonces rendent complexes les opérations de dédoublonnage. Bref, le numérique n’est pas magique et ne présente jamais de données prêtes à l’emploi. Il promet beaucoup, mais exige énormément et parfois déçoit. Souhaitons qu’il tienne ses promesses et contribue effectivement à une meilleure connaissance des loyers demain.