Ma conférence au Salon de l’Immobilier de Toulouse (12 mars 2016)*.
Organisation générale et pratiques de la maison : rien de neuf !
« Dans mon coin, je fais tout, je laisse tout, j’abandonne ; si on n’a pas de coin, il faut ranger, ça fait déballage sinon quand quelqu’un vient nous voir » ; « nous détournons tout ce qui serait embarrassant dans la maison. Dès que nous n’avons plus besoin de quelque chose, nous le descendons à la cave » ; « je trouve que ce n’est pas indiqué qu’on entre dans une cuisine, même si elle est belle, ce n’est jamais qu’une cuisine » ; « on a construit trois pièces qu’on a l’habitude d’appeler des pièces d’apparat, le reste est utilitaire et ne se visite pas » ; « derrière la maison, c’est fermé, on n’a pas de vis-à-vis, on peut manger, je n’aimerais pas aller manger devant, derrière, on est complètement chez nous, devant il y a les gens qui passent »...
Ces paroles d’habitants ont 50 ans et pas une ride ! Elles sont extraites d’une vaste enquête par entretiens publiée en 1966 sous le titre Les Pavillonnaires par la sociologue Nicole Haumont. Leur actualité tient à ce que les pratiques de l’habitat qu’elles illustrent s’ancrent dans un modèle culturel qui a la vie longue : le modèle de la sociabilité (des relations sociales), avec la séparation qu’il implique entre ce qui peut être montré parce que public et donc propre et rangé, et ce qui reste caché parce que privé et donc possiblement en désordre.
Egalement illustré dans Les Pavillonnaires, un autre modèle au moins sous-tend l’organisation de nos maisons : celui de la famille, avec sa répartition des rôles masculins et féminins et la place centrale qu’il fait aux enfants. La technologie, les équipements qu’elle introduit dans nos maisons et les nouveaux comportements qu’elle suscite n’y font rien : les pratiques de l’habitat ne sont pas prêtes de s’écarter des modèles culturels à l’œuvre hier et aujourd’hui en France. Avec la marge d’adaptation, de transformation et d’extension qu’elle offre, la maison est le type qui leur accorde le plus de jeu. Voilà d’ailleurs, d’après Nicole Haumont, une explication de la préférence des Français pour l’individuel.
Un changement radical : la place de la maison dans le parcours résidentiel
Rien de neuf donc dans l’organisation et dans les pratiques. Un changement déterminant et durable tient en revanche à la place de la maison dans le parcours résidentiel : terme du parcours hier, la maison que l’on acquiert en périphérie urbaine n’en est plus qu’une étape aujourd’hui.
Le divorce en est une première cause. Rupture dans la vie personnelle, il marque aussi une rupture dans le parcours résidentiel lorsqu’il se solde par la perte de la maison (et du statut de propriétaire qui lui est associé le plus souvent). Plus généralement, les mouvements de composition, décomposition et recomposition familiales, de plus en plus nombreux, sont à l’origine de parcours moins linéaires, plus complexes et plus heurtés ainsi que marqués par la multiplication des situations transitoires, des allers et retours entre les parcs et donc des changements de statut d’occupation. Ces mouvements impliquent aussi des arbitrages révélateurs de nouvelles contraintes de localisation. L’enjeu : favoriser la proximité des membres des familles éclatées ainsi que l’accès aux services, aux équipements et aux infrastructures que les ménages consomment d’autant plus qu’ils sont fragiles.
Le vieillissement de la population est une seconde cause du changement de place de la maison dans le parcours résidentiel. Le phénomène est massif et durable (l’Insee évalue à 32% la part des seniors dans la population en 2060, contre 22% aujourd’hui et 17% en 1960). S’il soulève le problème de la dépendance et appelle des réponses adaptées en termes de logement, il pose à son tour la question de l’accès aux aménités. Les seniors, actifs plus longtemps, sont de plus en plus nombreux à quitter leur maison en périphérie urbaine et à revenir en ville, sinon vers des pôles qui concentrent services et équipements.
Les territoires de la maison
Le changement de place de la maison dans le parcours résidentiel renvoie à un enjeu de localisation. Si la stabilité des pratiques entérine le plan et l’organisation générale de la maison, l’instabilité des parcours appelle une relocalisation. Il s’agit de faciliter le « retour à la ville » déjà esquissé par les ménages au fil de parcours aux étapes plus nombreuses. Le défi n’est pas nouveau mais il reste à relever. Dans nos principales métropoles en particulier, la difficulté est renforcée par des perspectives de forte croissance démographique.
Toulouse illustre l’urgence de la situation. Agglomération parmi les plus dynamiques, elle enregistre une accélération continue de sa croissance démographique depuis les années 1970 et l’Insee prévoit que sa population augmentera encore de 35 à 40% d’ici 2040 ; la périurbanisation y reste galopante (+30% entre 1999 et 2008), alors même que son rythme ralentit ici ou là (+7,5% à Paris, contre 9,5% dans les années 1990 et 15-21% dans les années 1970 et 1980). Dans un paysage dominé par l’individuel, tout l’enjeu est de renforcer les fonctions urbaines des pôles qui structurent déjà le territoire.
* Matinée organisée par Henri Buzy-Cazaux, Président de l'Institut du Management des Services Immobiliers.
Avec : Frédéric Carteret, Président LCA-FFB Région Midi Pyrénées Languedoc Roussillon et fondateur d’Amis Bois ;
Olivier Desbrée, Directeur Général Adjoint d’IGC Construction ;
Alain Tripier, Président du Cabinet Sereho.
Référence citée :
Haumont Nicole (1966), Les Pavillonnaires. Etude psycho-sociologique d’un mode d’habitat, Paris, Centre de recherche d’urbanisme et Institut de sociologie urbaine.